Ce livre est écrit pour les paysagistes, d’une part au même titre que les géographes et les agronomes pour sa méthode du transect, de l’urbain vers le rural, même s’il suit une ligne plus sinueuse que celle qu’on trace habituellement à cette fin, pour ses descriptions de la rivière, de ses berges et de ses rives (qu’on ne confondra plus désormais), de ses bras morts, de ses atterrissements, de ses écluses et de ses ponts.
Ensuite, au même titre que les peintres, pour sa réflexion sur le point de vue que n’aurait pas renié Anne Cauquelin : « La perspective change totalement la perception du paysage. On croit que celui-ci s’offre tout naturellement si l’on ouvre les yeux. C’est faux. Ce que nous voyons, nous le composons et l’inventons pour une large part. » (p. 239)
Enfin, au même titre que tous les humains, pour le regard plein de tendresse qu’il porte sur ces habitants de la France « profonde », de la diagonale du vide, qui ne sont même pas la France d’en bas pour qu’on s’y intéresse, mais qui en quelque sorte n’existent pas. C’est la France des hôtels démodés, des pavillons sans commerces ni services et des villages qui n’en sont plus, à peine traversés ou tenus à l’écart des principaux réseaux. C’est la France qui n’est pas écrasée par le soleil du Midi, ni battue par la pluie et les vents d’Ouest, mais endormie sous une « rambleur » indéfinissable (terme local). L’auteur, qui a appris la résilience durant ses années de captivité, y voit des conjurateurs de ce déclin, presque des résistants. Des gens qui pratiquent le respect, c’est-à-dire à la fois la mise à distance et la considération.
Il montre aussi que seul le rythme lent de la marche permet de comprendre un pays et ses habitants, surtout de ces lieux insignifiants aux yeux d’une large part de la société.
Pierre-Marie Tricaud et Michel Audouy
- Jean-Paul Kauffmann, éd. Fayard, 2013, 262 pages, 19,50 euros