Le sujet – l’imaginaire des grottes dans les jardins – n’avait jamais été traité à un tel niveau, pourtant il y a beaucoup à dire sur l’histoire de ces fabriques ou architectures, cavités naturelles ou construites, présentes dans les jardins depuis l’Antiquité. Les historiens Monique Mosser et Hervé Brunon ont travaillé plusieurs années pour écrire une somme complète et réunir les plus beaux documents, les plus belles références.
Qu’est-ce qu’une grotte de jardin ? Plusieurs définitions sont proposées et chacune nous interroge sur cette raison bizarre – « Les grottes sont faites pour représenter les antres sauvages… » écrit Jacques Boyceau de la Barauderie dans son Traité du jardinage selon les raisons de la nature et de l’art (1638) – qui fait qu’on a construit des grottes à toutes les époques.
Plusieurs pages d’introduction particulièrement éclairantes sont consacrées à l’origine des grottes et à la manière dont elles ne cessent d’être interprétées, à travers le vocabulaire notamment.
Dès l’Antiquité (chez les Grecs notamment certaines cavités naturelles sont désignées comme demeures divines), puis de la Renaissance à nos jours, en passant par les XVIIème et XVIIIème siècles, « ces étranges monuments » pour reprendre l’expression des auteurs, constituent un motif incontournable des jardins et des parcs.
Mais l’étude proposée n’est pas chronologique, elle se développe surtout à partir de l’imaginaire, des imaginaires, dont les grottes sont une représentation ; imaginaire matériel des quatre éléments : tellurique, aquatique, rocheux… en intégrant aussi les schèmes mythiques très présents : le merveilleux, le fantastique, le chthonien, le diluvien, le labyrinthique… enfin, le sacré et le profane.
L’imaginaire des grottes varie dans le temps : il est sacré en Grèce ancienne et dans les jardins romains, imprégné par la génèse et les mythologies antiques quand il ressurgit puissamment à la Renaissance. Cette période, qui s’étend quasiment jusqu’au XVIIIème siècle (avec bien sûr des évolutions), offre les exemples les plus spectaculaires dans lesquels interviennent les plus grands artistes comme pour la grotte du jardin Boboli à Florence (Michelangelo), et Pratolino à Vaglia (Jean de Bologne). Citons également le Sacro Bosco à Viterbe, la Grotte Doria à Gênes, la Villa Visconti-Borroméo à Milan, la Batie d’Urfé dans la Loire, les Bains d’Apollon à Versailles (Hubert Robert), l’Ermitage à Bayreuth… Les exemples de cette longue et riche période sont innombrables.
Emprunté à l’Italie, le modèle se diffuse partout en Europe au XVIIème et XVIIIème siècles, traduisant un certain attrait pour un monde du dessous, une nature brute, inquiétante et fascinante.
Au XIXème siècle, dans la poursuite du mouvement romantique, les grottes participent à la composition des grandes scènes « pittoresques » de parcs comme les Buttes-Chaumont à Paris, où l’on recrée en ville un semblant de paysage sauvage. Au XXème siècle, les exemples sont plus rares mais n’en sont pas moins importants car ils traduisent des univers en marge de la société industrielle, Gaudi (parc Guell à Barcelone) ; et profondément personnels : Gaudi toujours, mais également Niki de Saint-Phalle (jardin des Tarots en Toscane), ou Wolfgang Laib avec sa « chambre des certitudes ».
Des milliers de grottes de jardins ont été créées au cours des cinq derniers siècles partout en Europe cet ouvrage nous livre et nous explicite l’histoire et le sens des plus beaux spécimens. On en saisit également toute l’actualité, à l’heure où l’on s’interroge sur notre lien avec la nature, « les grottes factices sont un hommage à l’imagination des retraites naturelles », comme l’avait si bien perçu Gaston Bachelard.
Michel Audouy
- Monique Mosser / Hervé Brunon, 398 pages illustrées, Editions Hazan, 125 euros.