L’auteur n’est pas exhaustif, au contraire, ses choix sont souvent personnels, à l’image de ses travaux précédents publiés dans « Le roman des jardins de France » (1987) « Le sauvage et le régulier » (Le Moniteur, 2002), ou « Jardins et Paysages, textes essentiels » (Larousse 1996).
Dans le premier essai « Microcosme », Le Dantec aborde plusieurs notions fondamentales comme celle de lieu, et d’hétérotopie. Pour ce dernier concept, il renvoie à Michel Foucault, aux concepteurs de jardins au XVIIIème siècle et plus récemment à Bernard Lassus, montrant qu’à chaque époque, derrière tout projet de jardin existe la volonté de réunir dans un même lieu tout un univers.
Pour l’essai intitulé « Clôture » difficile de ne pas parler de l’hortus conclusus, puis des jardins anglais du XVIIIème siècle avec leurs ah-ah. L’auteur s’amuse à rappeler le débat récurrent entre la France et l’Angleterre : les premiers ah-ah auraient été créés au fond du parc de Versailles par Le Nôtre qui ne pouvait souffrir les vues bornées, plus de vingt ans avant la naissance de William Kent ! La notion de clôture évolue bien sûr à travers le temps jusqu’à être bouleversée aujourd’hui (…) en un temps où l’économie est devenue globale, notre asile terrestre ne peut plus être pensé en terme d’îles ou de pays garantis par des mers ou des frontières. (…) Elle est devenue une, incluse dans sa propre limite sphérique : un système écologique global (…) notre planète s’est transformée en un seul clos. Un constat déjà dépassé par Gilles clément dans le « Jardin planétaire ».
Les jardins traduisent plus une idée de nature que la nature en tant que telle. Jean-Pierre Le Dantec opère un parallèle entre jardinisme baroque – le « Traité du jardinage selon les raisons de la nature et de l’art » (1638) de Jacques Boyceau de la Barauderie – et Jardinisme « naturel » – « Les moralistes » du comte de Shaftesbury où le personnage principal s’enthousiasme pour « le génie du lieu et de la nature « sauvage » », ouvrage précurseur des L. Capability Brown, L. de Girardin et J.J. Rousseau… montrant dans les deux cas que le concept de nature évolue à chaque époque dans des contextes scientifiques, techniques et philosophiques différents. Ce constat peut éclairer la période contemporaine. L’auteur pose la question de la « Troisième nature » pour conclure que ce concept est probablement pertinent pour décrire une première nature (disparue) que l’homme s’emploie à recréer en privilégiant désormais le sauvage dans les jardins.
Dans l’essai consacré au Paysage, J.P. Le Dantec nourrit son texte du débat vivace entre une vision patrimoniale et pittoresque du paysage et une vision vivante, à la fois respectueuse de l’héritage tout en permettant aux nouvelles générations d’exister . Le deuxième débat est celui de la relation entre jardin et paysage, deux notions distinctes et intimement liées.
L’essai intitulé « Science » rappelle d’emblée que tout jardin est œuvre technique souvent expérimentale contribuant à l’évolution des sciences. L’auteur le rappelle à travers l’histoire de l’art des jardins au Généralife de Grenade, à la Renaissance en Italie, au « chantier-laboratoire » de Versailles.
Les jardins sont aussi « politiques », Le Dantec prend l’exemple de la renaissance des jardins classiques à la fin du XIXème siècle en France à la faveur de la montée des nationalismes, et d’un partage du pays entre républicains et monarchistes. Il revient sur quelques lieux communs associant la ligne droite au despotisme et la courbe à la démocratie.
Dès leur origine, les jardins sont associés à la ville, une citation de J.C. Nicolas Forestier le rappelle sans détour dès le titre : « Je suis un homme des villes. J’aime l’air libre et les jardins ».
L’essai consacre plusieurs pages à l’histoire de l’invention du jardin public en Europe à partir du XVIIème siècle, puis au XIXème siècles où une véritable pensée de la ville et de ses jardins s’élabore sous la houlette d’Olmsted, de Paxton, d’Alphand puis de Forestier. Après une période d’éclipse de trente ans attribuée aux Trente glorieuses il semble que la pensée urbaine contemporaine voit dans l’analyse sensible et inventive des sites à urbaniser une phase préalable à tout projet, la violence des mutations en cours ne fait que rendre plus que nécessaire les liens étroits entre villes, jardins et paysages.
Chaque essai-chapitre est une invitation à approfondir « la poétique des jardins » par l’angle érudit initié ici par Jean-Pierre Le Dantec.
Michel Audouy
- Edition Actes Sud, 179 pages, 22 euros.
- A signaler également du même auteur la réédition de son ouvrage de référence : « Histoire contemporaine des paysages, parcs et jardins – Le sauvage et le régulier » – éditions Le Moniteur –