Lecture

Voyage autour de mon jardin

Alphonse KARR, préface de Gilles Clément

« Je suis en ce moment étendu sur un gazon parsemé de violettes, sous un grand chêne qui m’abrite du soleil ; (…) les feuilles serrées du chêne forment une tente verte transparente, entre certaines branches, j’aperçois le ciel par taches bleues, j’entends mille bruits dans l’air, un pinson chante du haut de l’arbre, des abeilles bourdonnent… (extrait de la Lettre XI, Sur le dos)

Cette phrase donne la couleur du livre, un récit de voyage « autour de mon jardin », recueil en 65 lettres, de la longue correspondance de Jean-Baptiste Alphonse Karr adressée à un ami parti pour un lointain voyage.
Alphonse Karr (1808-1890) est journaliste et auteur de romans, ami de Victor Hugo, et comme lui républicain convaincu ; il s’exile près de Nice lors de l’avènement de Napoléon III. Là, assigné à résidence dans un domaine agricole loué, il raconte, à la manière d’un journal, son quotidien champêtre au rythme des heures et des saisons. Pris au jeu de ses observations, il décrit, souvent de façon documentée, la vie des plantes et des animaux, dans un style descriptif érudit qui n’est pas sans rappeler celui de Jean-Henri Fabre. Mais ce qui est observé et décrit est également ressenti : il y a souvent de l’émerveillement à voir éclore un bourgeon, une fleur, germer une graine ou respirer des parfums : « Lorsque je vois les fleurs apparaître chacune à leur tour autour de moi, je crois presque voyager… » En grand voyageur, ce qui est paradoxal, Alphonse Karr se laisse surprendre et guider par les évènements : des insectes qui butinent, la rencontre d’une fleur prête à s’ouvrir, un papillon, une plante exotique… tout est prétexte à de (longues) digressions puisant autant dans le champ des sciences humaines que dans celui de la botanique ou de l’entomologie. Observation de la nature mise à part, il y a aussi quelques belles rencontres avec des êtres humains : voisins, paysans, amateurs de fleurs, chasseurs… La vie à la campagne en quelque sorte, telle qu’on la pratiquait à la fin du XIXème siècle, dans une société éduquée. Cette vie devient au fil des pages le quotidien de l’auteur, toujours plus curieux d’histoires (naturelles) et dont les petits déboires avec des limaces ou des fourmis n’entament jamais l’enthousiasme pour son voyage sans fin. L’ami à qui il s’adresse reviendra alors qu’il n’est encore qu’à la moitié du sien ! Pourquoi ce livre nous parle aujourd’hui ? Gilles Clément a écrit – tout naturellement – la préface, retrouvant dans « Le voyage autour de mon jardin » beaucoup de sa propre personnalité et de sa vision du monde. Le concepteur du « Jardin planétaire » voit dans les lettres de A. Karr une réconciliation entre les êtres humains et la nature : « On est dans le constat et non dans l’imaginaire, même si la transcription du vécu s’enrichit des émotions et d’une poésie chargée d’un anthropocentrisme raisonné (…) Le mot nature peut disparaître. Tout est lié. Il ne servira plus à séparer les humains des autres êtres vivants sur cette planète. » Dernier conseil de lecture, après avoir lu la préface et les trois ou quatre lettres suivantes, abandonner l’ordre des pages pour se laisser accrocher par des mots, des phrases, au hasard des petits épisodes de ce grand voyage.

Michel Audouy

 Alphonse Karr, préface de Gilles Clément, éditions Riveneuve, collection Pépites, 11,5 euros    

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